Sous la direction de
Isaac TAMBA et Jean Claude TCHATCHOUANG
L’AFRIQUE CENTRALE, LE PARADOXE DE LA RICHESSE :
INDUSTRIES EXTRACTIVES, GOUVERNANCE ET DEVELOPPEMENT SOCIAL DANS LES PAYS DE LA CEMAC
FRIEDRICH EBERT STIFTUNG Avril 2007
TABLE DE MATIERES
Liste des tableaux
Liste des encadrés
Liste des graphiques
Liste des figures
Liste des schémas
Liste des acronymes
Remerciements
Avant propos
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : Le « paradoxe de la richesse » en Afrique centrale.
Chapitre 1: L’Afrique centrale : une région dotée en ressources naturelles mais pauvre
Section 1 : Définition et représentations d’un pays riche en ressources naturelles
I.1.1.1- Essai de caractérisation
I.1.1.2- Vérification empirique dans le cas des pays de l’Afrique centrale
Section 2 : L’Afrique centrale : des pays riches en ressources naturelles…
I.1.2.1.1- Les richesses du sol
I.1.2.2- Les ressources du sous-sol
a. Les minerais
b. Le pétrole
c. Le secteur diamantaire en RCA
Section 3 : …Mais pauvres
I.1.3.1- Trajectoire économiques : stagnation de la croissance
I.1.3.2- Trajectoire sociale : Dégradation des indicateurs de développement humain
Chapitre 2 : Où va l’argent ?
Section 1 : Dispositifs juridico réglementaires du système de gouvernance des revenus pétroliers
I.2.1.1- Principes généraux et communs
I.2.1.2 Spécificités et singularités
Section 2 : Traçabilité des revenus pétroliers
I.2.2.1. Le suivi des opérations financières
I.2.2.2. L’expérience tchadienne
Chapitre 3 : Le paradoxe de la richesse : une tentative d’explication
Section1 : Les facteurs économiques
I.3.1.1 – La volatilité des prix des matières premières
I.3.1.2 - La croissance appauvrissante de Bhagwati
I.3.1.3 - La théorie des enclaves de Bairoch
I.3.1.4 - Le syndrome hollandais
A- Le modèle de Gregory
B- Le modèle de Corden et Neary
C- La thèse du syndrome hollandais est-elle applicable dans les pays de l’Afrique centrale ?
Section 2 : Facteurs liés à la gouvernance
I.3.2.1- La faiblesse des institutions
I.3.2.2. La faible participation des populations à la gestion des affaires publiques
I.3.2.3- Industries extractives, transparence et corruption
A- Définition de la corruption
B-Le cas du Cameroun
C- Le cas du Congo
D- Le cas du Gabon
E- Le cas de la Guinée Equatoriale
F- Le cas du Tchad
G- Gouvernance et détournement des recettes publiques
a- Au Gabon
b- En Guinée Equatoriale
c- Au Tchad
H- Conséquences de la corruption dans la filière pétrolière
Section 3 : Pétrole, stabilité politique et conflits
I.3.3.1 - Cadre conceptuel des conflits en Afrique
I.3.3.2 – Les différents conflits en Afrique centrale
A- La situation en République Centrafricaine
B- Le cas du Congo
C- Le cas du Tchad
DEUXIEME PARTIE : Que faire ? L’importance du cadre de gouvernance financière
Chapitre 4 : Les initiatives internationales en matière de gouvernance financière
Section 1 : Le rôle des ONG internationales
II.4.1.1 - Transparency International
II.4.1.2 - Global Witness
II. 4.1.3- The International Budget Project (IBP)
Section 2: La Conférence internationale de la Fondation Friedrich-Ebert sur la politique pétrolière dans le Golfe de Guinée
II.4.2.1 - Les enjeux géostratégiques du Golfe de Guinée
II.4.2.2 - Comment la politique pétrolière façonne t-elle les relations interétatiques, l’Etat-nation et la politique sécuritaire dans le Golfe de guinée ?
II.4.2.3 - Compagnies pétrolières et organisations de la société civile : nouveau partenariat, responsabilité et développement social
II.4.3.4 - Comment établir des relations positives entre le secteur pétrolier et le reste de l’économie ?
Section 3 : Les initiatives pour la transparence financière dans les industries extractives
II.4.3.1 - Le processus de Kimberley
II.4.3.2- La coalition « Publiez ce que vous payez »
II.4.3.3 - L’initiative pour la transparence des industries extractives
Chapitre 5 : L’initiative pour la transparence des industries extractives en Afrique centrale
Section 1 : Qu’est ce qui a été fait dans la mise en œuvre de L’ITIE dans les pays de la CEMAC ?
II.5.1.1-Au Cameroun
II.5.1.2- Au Congo
II.5.1.3- Au Gabon
II.5.1.4- En Guinée Equatoriale
II.5.1.5- Au Tchad
Section 2 : Une évaluation de l’ITIE dans les Pays de la CEMAC
En guise d’épilogue : Que reste t-il à faire pour améliorer le cadre de gouvernance financière dans le secteur des industries extractives en Afrique centrale ?
- Un engagement plus prononcé des gouvernements des pays d’origine des compagnies pétrolières en faveur de la mise en œuvre de l’ITIE
- Faire des compagnies pétrolières des vecteurs de la transparence
- Les gouvernements des pays producteurs doivent améliorer leur participation au processus ITIE
- Une implication plus directe des institutions communautaires et internationales dans le processus ITIE
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Evolution des recettes totales et pétrolières entre 2002 et 2004 en milliards de F.CFA)
Tableau 2 : Evolution du taux moyen des recettes pétrolières entre 2002 et 2004 (en %)
Tableau 3 : Production agricole (estimée) en 2005 (en tonnes)
Tableau 4 : Nombre de têtes de bétail en 2003 (en millier)
Tableau 5 : Production de bois (grumes, sciages et dérivés) (en milliers de m3)
Tableau 6 : Production des minerais
Tableau 7 : Réserves pétrolières prouvées en Afrique centrale (milliards de barils)
Tableau 8 : Importance macroéconomique de la ressource pétrolière dans les pays CEMAC
Tableau 9 : Compagnies pétrolières opérant dans les pays de la CEMAC
Tableau 10 : Taux de croissance du PIB (variation annuelle en pourcentage)
Tableau 11 : PIB par tête (prix constant $2000)
Tableau 12 : L’incidence de la pauvreté dans les pays de la CEMAC (en % de la population)
Tableau 13 : Quelques indicateurs sociaux des pays de l’Afrique centrale en 2003
Tableau 14 : Us et pratique en matière de gestion des revenus pétroliers
Tableau 15 : Ecart entre les recettes pétrolières et les dépenses publiques totales (en milliards de FCFA)
Tableau 16 : Production (en millions de barils) et recettes (en millions de dollars) du pétrole tchadien
Tableau 17 : Répartition des recettes perçues par le Tchad entre fin octobre
2003 et fin 2005 (en millions de dollars)
Tableau 18 : Répartition des dotations budgétaires au profit des secteurs
prioritaires en 2005 (en milliards de F.CFA)
Tableau 19 : Evolution des termes de l’échange (base 100 : 1987)
Tableau 20 : Index 2006 sur le budget ouvert
Tableau 21 : Classement des pays de l’Afrique centrale suivant l’IPC en 2005
Tableau 22 : Etat d’avancement du processus ITIE
Tableau 23 : La décomposition du solde extérieur selon la méthode Balassa, Barsony et Richards
Tableau 24 : Décomposition du solde extérieur du Cameroun
Tableau 25 : Plan d’actions du Comite de suivi de la mise en œuvre des principes de l’initiative de transparence des industries extractives au Cameroun
Tableau 26 : Plan d’action du groupe de travail de la mise en œuvre de l’ITIE au Gabon
LISTE DES ENCADRES
Encadré 1 : Le régime juridique de l’exploitation du pétrole au Tchad
Encadré 2 : Les opérateurs pétroliers au Gabon et en Guinée Equatoriale
Encadré 3 : La comparabilité des données des enquêtes ménage au Cameroun
entre 1996 et 2001
Encadré 4 : Répartition des recettes provenant de l’exploitation des ressources
minérales au Cameroun
Encadré 5 : Le Contrat de concession et le contrat de partage de production
Encadré 6 : La gestion des revenus pétroliers au Congo
Encadré 7 : Ministères prioritaires
Encadré 8 : Modalité de l’accord sur le différend entre la Banque mondiale et le
Tchad
Encadré 9 :L’apparition du Mal hollandais
Encadré 10 : Similitude entre les analyses de Bhagwati et du « Mal hollandais »
Encadré 11 : la question de l’alternance au pouvoir dans les pays de la CEMAC
Encadré 12 : L’indice de perception de la corruption
Encadré 13 : Les « fuites » de l’argent du pétrole au Cameroun
Encadré 14 : Pétrole et politique au Congo
Encadré 15: L’affaire « totale » au Gabon
Encadré 16 : La pression fiscale apparente
Encadré 17 : Chronologie des conflits en RCA
Encadré 18 : Pétrole et crise politique au Congo
Encadré 19 : Origine de Transparency international
Encadré 20 : Portée pratique de la CNUC
Encadré 21 : « La campagne contre les diamants de guerre »
Encadré 22 : Les documents budgétaires de base nécessaires à la bonne
information du citoyen
Encadré 23 : Origine et objectifs de la Fondation Friedrich-Ebert
Encadré 24 : Etude de cas sur le contrôle interne des diamants
Encadré 25 : Principes clés de l’ITIE
Encadré 26: Données financières du secteur pétrolier publié dans le TOFE
Encadré 27: Quelques résolutions de la table ronde de février 2005
Encadré 28 : Coercition et menace à l’encontre de deux représentants de la
société civile au Congo
Encadré 29 : Engagements du G8 en faveur de l’ITIE
LISTE DES GRAPHIQUES
Graphique 1 : Taux de mortalité infantile pour 1000 naissances vivantes en 2001
Graphique 2 : Classement des pays de l’Afrique centrale suivant l’IDH EN 2004
Graphique 3 : Pays de la CEMAC suivant L’IPC de 2005
Graphique 4 : Government Take dans le monde : un éventail de pressions fiscales
extrêmement large
LISTE DES FIGURES
Figure 1 : La croissance appauvrissante de Bhagwati (1)
Figure 2 : La croissance appauvrissante de Bhagwati (2)
Figure 3 : Pression fiscale apparente sur longue période
LISTE DES SCHEMAS
Schéma 1 : Répartition des revenus pétroliers
Schéma 2 : Cercle vertueux de la transparence
Schéma 3 : Importance et enjeux de l’ITIE
LISTE DES ACRONYMES
AFD : Agence Française de développement
BEAC : Banque des Etats de l’Afrique Centrale
CC . Contrat de Concession
CCSRP : Collège de Contrôle et de Surveillance des Ressources pétrolières
CEA : Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique
CEMAC : Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale
CIJ : Cour Internationale de justice
CNUC : Convention des Nations Unies contre la Corruption
COTCO : Corporation trading compagnie
CPP : Contrat de partage de production
CSM : Le Conseil Supérieur militaire
CTD : Collectivités Territoriales décentralisées
DSRP : Document stratégique de réduction de la pauvreté
ECAM : Enquête camerounaise auprès des ménages
ECOM : Enquête congolaise auprès des ménages
ECOSIT : Enquête sur la consommation et le secteur informel au Tchad
FACA: Forces armées Centrafricaines
FMI : Fonds Monétaire International
FROLINAT : Le front de libération du Tchad
GT : Government take
GUNT : Le Gouvernement d’Union Nationale de transition
GW : Global Witness
IBP : International Budget Project
IBW : Institution de Bretton Woods
IDH : Indice du développement humain
IPC : Indice de perception de la Corruption
IPH : Indice de la pauvreté humaine
ITIE : l’initiative pour la transparence des industries extractives
MINEFI : Ministère de l’économie et des finances
MLC : le mouvement de libération du Congo
MPS : le Mouvement Patriotique du Salut
OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économique
OMD : objectif du millénaire pour le développement
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
OPEP : Organisation des pays exportateurs du pétrole
OPI : L’open Society Institue
PED : Pays en Développement
PFA : Pression fiscale apparente
PIB : Produit Intérieur Brut
PID : provision pour investissement directe
PMA : Pays les moins avancés
PNUD : programme des Nations Unis pour le Développement
PPTE : Pays Pauvres Très Endettés
PTF : les partenaires techniques et financiers
RCA : La République CentrAfricaine
SCPK : Système de certification du processus de Kimberley
SNPC : La Société Nationale de pétrole du Congo
SHT : La Société des Hydrocarbures du Tchad
SNH : Société National des Hydrocarbures
SNRP : Stratégie Nationale de réduction de la pauvreté
TI : Transparency International
TMRP : le taux moyen de recettes pétrolières
TOFE : Tableau des opérations financières de l’Etat
UBC : Union congolaise des banques
WTI : West texas intermediate
REMERCIEMENTS
C’est à la faveur d’une rencontre d’échanges en janvier 2006, entre le CREDDA, le Chef de Département Afrique Centrale et de l’Ouest de la Friedrich Ebert Stiftung et le Représentant Résident de la Friedrich Ebert Stiftung au Bureau du Cameroun et du Mali, qu’est née l’idée de mener des recherches en vue de la publication d’une étude sur l’impact des industries extractives sur le développement des pays de l’Afrique centrale en général, et ceux de l’ensemble CEMAC en particulier.
Il était notamment question de s’interroger sur l’existence des faibles liaisons entre l’importance des revenus issus du secteur extractif et le développement social dans ces pays. Ces questionnements qui s’inscrivaient dans la suite de la conférence internationale sur les enjeux pétroliers organisés par la Friedrich Ebert Stiftung en octobre 2003, se situaient dans un contexte caractérisé par deux événements majeurs : d’une part, l’entrée du Tchad dans l’ère pétrolière avec l’adoption en 2003 d’un dispositif institutionnel courageux de gestion des revenus pétroliers ; d’autre part, l’avènement de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives qui se mettait progressivement en place dans la région.
La réalisation de cette étude n’aurait pas été possible sans l’aide et les précieuses contributions fournies par un grand nombre de personnes et d’organisations, tant nationales qu’internationales, à qui nous exprimons notre profonde gratitude. Ainsi, les données statistiques contenues dans la présente étude proviennent des bases de données et des documents de la Banque Mondiale, de la BEAC, du CREDDA, de la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique, des administrations publiques économiques et financières des pays de l’échantillon, des coalitions nationales « Publiez ce que vous payez », de Global Witness, etc.
Les participants à l’Académie des journalistes économiques de l’Afrique Centrale pour l’année 2006, tenue à Kribi (Cameroun) sous l’égide de la Friedrich Ebert Stiftung ont par leur curiosité d’investigation, suscité en nous le souci d’approfondir certaines thématiques développées dans cette étude.
Nos voudrions remercier sincèrement tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à la réalisation de cette recherche.
Plus particulièrement, nos remerciements vont à Dr Michaël Brönning, ancien Chef de Département Afrique Centrale et de l’Ouest de la Friedrich Ebert Stiftung pour l’intérêt porté à ce sujet, et surtout à Dr Reinhold Plate, Représentant Résident de la Friedrich Ebert Stiftung aux Bureaux du Cameroun et du Mali, pour avoir accepté d’apporter un appui financier à la réalisation de l’étude. Nous sommes également reconnaissant à toute l’équipe de la Friedrich Ebert Stiftung Cameroun, pour son constant encouragement.
RESUME DE L’ETUDE
Par Isaac TAMBA
Il a longtemps été admis que les pays riches en ressources naturelles étaient ceux qui disposaient également d’un potentiel de développement élevé. Cette assertion reposait sur l’idée selon laquelle les pays qui doivent leur avantage comparatif aux produits de base peuvent augmenter leur revenu grâce à l’échange international et accélérer conséquemment leur marche vers le progrès économique et social. De fait, l’emballement du développement en Europe à la fin du 18ème siècle est certes dû à l’essor de productivité dans l’agriculture, mais surtout à l’exploitation du charbon et du minerai de fer. C’est dire que se conformer à son avantage comparatif en exportant les produits primaires était, a priori, de nature à élever le revenu individuel et à permettre une évolution structurelle favorable au développement. Invariablement, la plupart des manuels d’économie affirment qu’une stratégie de concentration des exportations des produits de base offrirait trois séries d’avantages dont l’amélioration de l’emploi des facteurs, l’extension des dotations des facteurs et l’établissement des effets de liaison bénéfiques pour l’ensemble de l’économie. Les Etats-Unis, le Canada et l’Australie ont suivi, au moins partiellement, cette voie pour devenir des pays développés. D’autres pays, notamment pauvres, se sont également engagés dans cette direction sans que ce choix volontariste ne se traduise par des effets positifs en termes de développement. Les raisons évoquées pour expliquer ce paradoxe étaient que les exportations des produits primaires, autres que le pétrole, ne peuvent pas soutenir durablement un processus de développement du fait de la lenteur de la progression de la demande internationale, du déclin tendanciel des cours mondiaux desdits produits, de la volatilité des recettes et du caractère inopérant des liaisons économiques.
Par la suite, le blocage du développement dans les pays ayant une forte croissance de leurs industries extractives en général et pétrolières singulièrement, intrigua ; et cette incapacité fut expliquée par le fait que les liaisons en amont et en aval, et les liaisons de consommation ne fonctionnaient pas toujours. Plus que tout autre secteur en effet, l’industrie pétrolière est considérée comme une enclave, excentrée des autres secteurs et peu adaptée à des liaisons économiques avec eux. En outre, l’efficacité avec laquelle le développement des industries extractives stimule les autres secteurs de l’économie dépend de la nature et du type des politiques économiques adoptées et mises en œuvre par les autorités publiques. En général, la forte croissance des industries extractives dans la plupart des pays en développement n’a pas pu élargir leur base industrielle et générer les avantages économiques attendus. Elle a par contre, été à l’origine d’un phénomène nouveau, le syndrome hollandais, subi par ces pays et caractérisé par les pressions inflationnistes, la régression de la croissance économique et la montée du chômage.
L’affinement de l’analyse des facteurs déterminants de ce paradoxe a permis de cerner la pertinence de l’idée de rente pour l’approfondissement de la compréhension des logiques économiques et socio-politiques en vigueur dans les pays producteurs de pétrole ou de gaz. Ainsi, l’exogénéité des revenus issus de l’exploitation de la rente énergétique est-elle donc à l’origine de l’incohérence des politiques économiques formulées, des dérives observées ici et là, et des velléités d’autonomie de l’Etat par rapport à la société. Sachs et Warner (1997) cité par Talahite (2006), montre, sur la base d’un échantillon de 23 pays, que la relation entre abondance de ressources naturelles et croissance économique est négative sur la période 1970-1990. Ces auteurs attribuent cette situation au fait que l’exploitation des ressources naturelles génère d’importantes rentes dont la redistribution concourt soit à la constitution des groupes de pression hostiles aux réformes, soit alors au développement de la corruption ; et, ce sont ces comportements de rent-seeking qui influent négativement sur le processus d’évolution économique. Il arrive aussi que les revenus tirés de l’exploitation de la rente énergétique contribuent au financement des dépenses improductives à travers des investissements sans effets pour le reste de l’économie.
Pendant longtemps, l’étendue et la diversité des ressources naturelles dont regorge l’Afrique centrale n’ont cessé d’entretenir l’espoir d’un développement soutenu et harmonieux. La légitimité de ce projet développementiste aussi généreux était sans doute fondée, surtout après les premiers et seconds chocs pétroliers, dans la mesure où les pays producteurs de la région virent leurs revenus augmenter de façon exponentielle. Dans le groupe des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), cinq des six pays sont producteurs de pétrole, et il n’est pas exclu que la Centrafrique le devienne au cours des prochaines années. Pour l’ensemble CEMAC, le pétrole représente en moyenne 37 % du produit intérieur brut et plus de la moitié des recettes fiscales. Bien que ne représentant que 12 % de la production africaine, le pétrole est quasiment l’unique produit d’exportation dans la région puisqu’il contribuait pour près de 79 % des exportations totales de la région en 2005. Ces évolutions globales masquent certaines disparités dans la mesure où, en dehors du Cameroun où le pétrole constitue « seulement » 40 % des exportations totales du pays, il se situe au delà de 80 % pour les quatre autres pays, et peut parfois atteindre 87 % au Congo, voire plus de 92 %, comme en Guinée Equatoriale. En 2005, les recettes pétrolières s’élevaient à plus de 6063 milliards de F.CFA pour l’ensemble CEMAC (BEAC, 2006), en hausse de 43 % en valeur relative, par rapport à l’année précédente. Elles ont été probablement plus élevées en 2006 du fait de la tendance haussière des cours mondiaux observée cette année-là.
L’évolution concomitante des indicateurs de développement atteste que l’histoire de ces dernières années dans les pays de la CEMAC est celle d’espoirs déçus, de reculs et non de croissance économique ou d’amélioration des conditions de vie des populations. En effet, la cadence de création des richesses est demeurée anormalement faible et peu à même de réduire durablement la pauvreté. Les indicateurs sociaux et de développement humain se sont considérablement dégradés dans la quasi-totalité des pays de la région. Dans cet ordre d’idées et sur la base des données des enquêtes-ménages disponibles dans certains pays[1], il ressort que plus d’une personne sur deux vivraient en dessous du seuil de pauvreté. En termes d’Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), le rythme de réalisation desdits objectifs est lent, et il n’est pas uniforme selon les pays de la région ; à l’intérieur de ces pays, ces objectifs évoluent de manière erratique. Après avoir été longtemps catégorisés comme pays à revenus intermédiaires, les pays tels le Cameroun, le Congo et le Gabon sont devenus des pays pauvres, très endettés et corrompus, entretenant ainsi la thèse de la malédiction des ressources naturelles[2]. De plus, la récurrence de l’instabilité socio-politique dans certains de ces pays tout comme les guerres civiles à répétition seraient perçues comme des « effets collatéraux » de l’exploitation de la rente pétrolière.
Ces deux évolutions paradoxales constituent la raison d’être principale de cette étude. Effectivement, nous avons voulu mener des recherches pour comprendre pourquoi l’Afrique centrale en général et les pays de la CEMAC en particulier, n’arrivaient pas à décoller, et pourquoi la pauvreté était si répandue, en dépit de l’importance des richesses de leur sol et sous-sol.
L’objectif de cette étude est de mener des recherches en vue de proposer une explication globale et cohérente du paradoxe de la richesse dans les pays de la CEMAC d’une part, et d’esquisser les propositions d’actions de progrès de nature à lever la malédiction des ressources, d’autre part. Plus précisément, l’étude voudrait analyser ce qui peut être réellement fait pour que les revenus tirés de l’exploitation des industries extractives en général et le pétrole en particulier, contribuent au développement socio-économique desdits pays.
Les objectifs spécifiques de l’étude sont d’apprécier le cadre de gouvernance des revenus issus des industries extractives en vigueur dans les pays de la CEMAC en général et au Tchad singulièrement, et de voir dans quelle mesure les initiatives internationales en matière de gouvernance financière peuvent être porteuses de changements et de transformations institutionnels susceptibles de renforcer la transparence de la gestion desdits revenus, et améliorer corrélativement leur productivité.
Aussi, l’étude tentera t-elle d’apporter les réponses aux questions ci-après :
- L’ensemble CEMAC est-il une région riche en ressources naturelles ?
- La thèse du paradoxe de la richesse y est-elle vérifiée ?
- Quel est le poids de la rente énergétique dans l’économie ?
- Quel circuit emprunte les revenus issus de l’exploitation du pétrole ?
- Quels sont les dispositifs juridiques et réglementaires qui gouvernent la gestion des revenus pétroliers dans les pays de la CEMAC ?
- En quoi se singularise le cadre de gestion des revenus pétroliers mis en place au Tchad ?
- Quels sont les déterminants fondamentaux du paradoxe de la richesse dans les pays de la CEMAC ?
- Quelles sont les initiatives internationales qui promeuvent une meilleure gouvernance financière des revenus issus du secteur extractif ?
- Comment l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) se met-elle en œuvre dans les pays de la CEMAC ?
- Qu’est ce qui peut être fait pour améliorer le processus ITIE dans ces pays ?
- Etc.
Les résultats escomptés de cette étude sont de nature à favoriser une meilleure compréhension des enjeux d’un système de transparence renforcé, gage d’une meilleure utilisation des revenus issus des industries extractives. De plus, les recommandations formulées vont contribuer à réduire l’asymétrie d’information sur le processus ITIE dans l’ensemble CEMAC et encourager une réelle appropriation de celui-ci afin de lever la thèse de la malédiction des ressources naturelles.
L’approche méthodologique adoptée a consisté essentiellement en une revue documentaire, des interviews et focus group des personnes-clé du processus ITIE. Des séjours de recherches ont ainsi été effectués au Congo, au Gabon et au Tchad pour apprécier le déroulement du processus ITIE.
Cet ouvrage est le fruit d’un travail d’équipe de chercheurs du Centre de recherches pour le développement durable en Afrique (CREDDA), constituée de Jeanne Claire MEBU NCHIMI et Luc NEMBOT-NDEFFO, respectivement Docteur d’Etat en Sciences juridiques et politiques, et Docteur en Sciences économiques, sous la co-direction de Isaac TAMBA, Docteur d’Etat en Sciences économiques, et Jean Claude TCHATCHOUANG, Conseiller de l’Administrateur à la Banque mondiale.
Il comprend cinq chapitres regroupés en deux parties. Le premier chapitre porte sur l’étonnant potentiel en ressources naturelles de l’ensemble CEMAC. Dans le chapitre 2, nous entreprenons de suivre le circuit de l’argent du pétrole en questionnant les différents cadres juridiques en vigueur dans ces pays. Par la suite, nous tentons une explication globale du paradoxe de la richesse au chapitre 3 en examinant les facteurs économiques, socio-politiques et ceux liés à la gouvernance. Après avoir recensé toutes les initiatives internationales en matière de promotion de la gouvernance financière, nous jetons dans le dernier chapitre, un regard critique sur le processus de mise en œuvre de l’ITIE dans les pays de la CEMAC. Enfin et en guise de conclusion, plusieurs recommandations sont formulées en vue d’améliorer la mise en œuvre du processus ITIE en général et dans les pays de la CEMAC en particulier.
[1] Il s’agit de l’Enquête camerounaise auprès des ménages (ECAM I et II), de l’Enquête congolaise auprès des ménages (ECOM I), de l’Enquête sur la consommation et le secteur informel au Tchad (ECOSIT I et II).
[2] Cette thèse suppose qu’un pays, riche en ressources naturelles, est tenté de tirer parti de cet avantage en formulant des stratégies de développement peu rigoureuses et imprudentes.
Sous la direction de
Isaac TAMBA et Jean Claude TCHATCHOUANG
L’AFRIQUE CENTRALE, LE PARADOXE DE LA RICHESSE :
INDUSTRIES EXTRACTIVES, GOUVERNANCE ET DEVELOPPEMENT SOCIAL DANS LES PAYS DE LA CEMAC
FRIEDRICH EBERT STIFTUNG
Avril 2007
